Que lire après avoir vu La Zone d’intérêt ?

Difficile de passer à côté du séisme provoqué par le film de Jonathan Glazer, adapté d’un roman de Martin Amis. Pluie de prix, aussi bien à Cannes, qu’aux BAFTA et aux Oscars. Accompagnée par une musique angoissante, l’histoire de la famille Höss, installée dans une jolie villa, avec un jardin luxuriant et bien entretenu, fascine autant qu’elle met mal à l’aise. Parce que les Höss vivent à Auschwitz. Et que Rudolf, le père, est chargé de mettre en place, de la manière la plus efficace, la solution finale dans ce camp d’extermination. Si le film marque, c’est par le point de vue qu’il adopte. La Shoah est habituellement racontée par les victimes, les survivants. Pas par les organisateurs. Dans La Zone d’intérêt, on raconte le quotidien d’une famille allemande et on ne fait que deviner l’horreur, derrière les murs bien proprets de la maison. Cette horreur, ce sont les cris, les aboiements des chiens, les personnages qui ferment les fenêtres pour échapper à la puanteur, mais aussi ce tube de rouge à lèvre récupéré par Hedwig Höss. Cette horreur, c’est aussi la banalité de la vie des Höss, avec le père fonctionnaire zélé, la mère femme au foyer satisfaite de son nouveau statut social, les enfants qui vont à l’école comme n’importe quels autres enfants. Une banalité rendue monstrueuse par les circonstances où tout le monde prétend ignorer ce qui se passe de l’autre côté du mur.

Affiche du film La Zone d’intérêt

Exactement ce que suggère Robert Merle dans La Mort est mon métier, roman qu’il publie en 1952. A travers un récit mené à la première personne par Rudolf Lang (double littéraire de Rudolf Höss), l’écrivain tente d’explorer la personnalité d’un individu qui a mené deux millions et demi de personnes à la mort sans broncher. Il raconte une enfance sous l’égide d’un père catholique tyrannique, une adolescence marquée par l’armée, la guerre, le patriotisme exacerbé et l’obéissance aveugle aux ordres, une vie adulte paumée, sans cadre, sans ordres à respecter, sans véritables perspectives d’avenir. Puis vient le salut, le parti nazi, un nouveau cadre rassurant et une mission à accomplir. Dans La Mort est mon métier, Lang ne mentionne jamais les hommes, les femmes et les enfants qu’il doit tuer. Pour lui, il s’agit d’unités. C’est un chef d’entreprise soucieux de bien faire, qui cherche à être efficace pour plaire à ses responsables. Ce que veut aborder Robert Merle, c’est que la monstruosité peut se cacher sous le masque le plus quelconque. Il suffit d’un homme discipliné, attaché à son devoir.

La Mort est mon métier et La Zone d’intérêt mettent en évidence, à soixante-dix ans d’intervalle, la mécanique d’extermination glaçante lancée par les Nazis et mise en place par de simples exécutants, ce qu’Hannah Arendt désigne comme étant la « banalité du mal ». Une banalité qui fait froid dans le dos tout au long de la lecture du roman et du visionnage du film.

2 commentaires sur « Que lire après avoir vu La Zone d’intérêt ? »

    1. Je n’ai pas encore lu le roman de Martin Amis (c’est prévu, il est dans ma bibliothèque) mais en effet, la 4e de couverture laisse imaginer une histoire assez différente. Je suis curieuse de voir à quel point l’adaptation s’en approche ou s’en éloigne

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