Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer

Hernani, ou les punks contre les classiques

Quand on évoque Victor Hugo, la première image qui vient à l’esprit est celle d’un grand-père barbu à la fois populaire et encensé par la critique, devenu aujourd’hui un acteur majeur de la littérature classique. Mais c’est oublier qu’il a été jeune. Et pas si conventionnel qu’on ne le pense.

Portrait de Victor Hugo par Nadar, vers 1884

Tout commence avec le choc de Cromwell, drame écrit en 1827. Enfin plus précisément, c’est la préface de cette pièce qui provoque des remous dans la sphère littéraire car Victor Hugo critique les règles du théâtre classique, qu’il juge complètement absurdes. En effet, depuis des décennies, si ce n’est des siècles, le théâtre français est régi par des codes à respecter et peu de dramaturges y dérogent, même si le genre a souvent été bousculé et contesté durant les XVIIe et XVIIIe siècles. D’abord, il y a la règle des trois unités : temps, lieu et action. L’histoire doit se dérouler en une journée, dans le même lieu et se concentre sur une seule intrigue. La règle de bienséance veille à ne pas choquer le spectateur par un langage inapproprié, des sentiments qui manquent de noblesse ou par des scènes de violence. Enfin, la règle de vraisemblance impose une certaine crédibilité de l’intrigue, qui doit donner une impression de vérité. Tout cela rebute Victor Hugo et il le fait donc savoir dans sa préface de Cromwell, qui devient alors une sorte de manifeste romantique (au sens littéraire du terme).

Trois ans plus tard, Victor Hugo, vingt-huit ans et toutes ses dents, écrit Hernani. La pièce est d’abord lue devant un public d’amis qui acclame l’auteur, la commission de censure de la Restauration valide le texte à condition de modifications mineures et le Théâtre-Français accepte de la monter. Toutefois, elle n’a pas encore été jouée que Victor Hugo est prévenu qu’une cabale se prépare contre Hernani pour l’assassiner. On y flaire une forme d’irrespect devant la royauté et le pouvoir, ce qui déplaît tout autant que le refus d’adopter les règles du théâtre classique. Sans parler de la versification d’Hugo que certains trouvent barbare.

A l’époque, un succès au théâtre se joue grâce à la claque, des individus payés pour applaudir et expulser les perturbateurs. Hugo ne fait pas confiance à celle du Théâtre-Français, trop classique à son goût. Il rassemble donc autour de lui une bande de jeunes artistes armés d’invitations, un « carré de papier rouge égratigné de la griffe Hierro », comme le rappelle Théophile Gautier. Ce dernier a été rameuté par Gérard de Nerval et profite de l’occasion pour s’illustrer par sa tenue vestimentaire, le fameux gilet rouge (qui n’en est pas un). La jeunesse romantique est barbue et chevelue, excentrique, enthousiaste et prête à en découdre pour ce qui leur paraissait être « l’événement du siècle ».

La première d’Hernani, Avant la bataille, Albert Besnard, 1905

Le 25 février 1830, huit heures avant la représentation, les portes du théâtre ouvrent et les fidèles de Victor Hugo s’installent en escouades dans la salle plongée dans l’obscurité. Pour s’occuper, ils mangent, chantent, poussent des cris d’animaux, déclament de la poésie. Les toilettes étant fermées, ils se soulagent où ils peuvent. Quand le reste du public les rejoint, ils applaudissent l’entrée des jeunes et jolies femmes, ce qui passe pour du mauvais goût et des manières déplacées.

Les trois coups résonnent, le rideau se lève. Et la lutte commence à coups d’applaudissements, d’ovations, de hurlements et de sifflets. La première représentation est un succès. Les classiques se rebiffent lors des suivantes, quand ils deviennent plus nombreux dans la salle. Sans faiblir, les deux camps vont donc s’affronter pendant trente-neuf représentations, assurant en même temps le succès financier de la pièce en remplissant les caisses du Théâtre-Français.

La bataille d’Hernani, Jean Ignace Isidore Gérard Grandville, 1830

Les querelles sont légion dans l’histoire de la littérature française. Si celle d’Hernani s’illustre particulièrement, c’est peut-être à cause de ceux qui en ont forgé la légende. Parmi les défenseurs de Victor Hugo, on trouve la fine-fleur des écrivains de l’époque comme Alexandre Dumas, Gérard de Nerval ou Théophile Gautier. Dans leurs récits, l’affrontement entre classiques et romantiques prend une tournure épique. Cette image de deux armées en lutte est restée, tandis que la pièce elle-même est devenue un classique, au même titre que toutes celles contre lesquelles elle s’érigeait.

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :