Ce texte de Blaise Cendrars est un long poème de presque quatre cent cinquante vers qui raconte un voyage qu’il a fait, adolescent, à bord d’un train reliant Moscou à Kharbine, en compagnie d’une femme prénommée Jeanne. Enfin… Quand un journaliste l’interroge à propos de la véracité de ce périple, il répond : « Qu’est-ce que ça peut te faire, puisque je vous l’ai fait prendre à tous ! »

Toujours est-il que ce poème est l’occasion idéale pour filer la métaphore. Le voyage n’est rien d’autre que la vie. Cendras s’y projette d’abord comme un adolescent bohème, avide de découvrir le monde, à commencer par Moscou. Il se rêve poète, se prétend mauvais, tout en empruntant à Baudelaire son célèbre albatros.
Puis il est le poète amoureux, vénérant Jeanne, sa Muse. La jeune femme est une prostituée qu’il décrit comme une « une fleur candide, fluette,/La fleur du poète, un pauvre lys d’argent,/Tout froid, tout seul, et déjà si fané‚/Que les larmes me viennent si je pense à son cœur. » Les histoires d’amour et les trains, c’est aussi la métaphore que file Grand Corps Malade dans un slam. Le ton est moins lyrique, un peu plus ironique, mais la mélancolie et l’inquiétude liée à la solitude affleurent sous les plaisanteries :
Moi après mon seul vrai voyage j’ai souffert pendant des mois,
On s’est quitté d’un commun accord mais elle était plus d’accord que moi,
Depuis je traîne sur les quais je regarde les trains au départ,
Y a des portes qui s’ouvrent mais dans une gare je me sens à part.
Au cours de son voyage, Cendrars assiste à un immense incendie près de la frontière Mongole. A l’abri derrière la fenêtre du train, il est le spectateur de la folie et de l’horreur, ne cessant de répéter « J’ai vu/J’ai vu les train silencieux les trains noirs qui revenaient de l’Extrême-Orient et qui passaient en fantôme ». C’est la même posture de spectateur, cette fois derrière un écran de télévision, et la même anaphore que Niagara adopte dans la culte chanson « J’ai vu » qui liste quelques événements tragiques du XXème siècle :
J’ai vu la guerre, la victoire était au bout de leur fusils
J’ai vu le sang sur ma peau, j’ai vu la fureur et les cris
Et j’ai prié, j’ai prié tous ceux qui se sont sacrifiés
J’ai vu la mort se marrer et ramasser ceux qui restaient
Et j’ai vu
La fin du voyage amène l’âge adulte, porteur de regrets, de solitude et de mélancolie. L’occasion de jeter un coup d’œil sur son passé, ce passé qu’on ne peut retrouver. Raphaël est victime du même phénomène dans son « Petit train ». La mélodie guillerette est trompeuse, sa jeunesse lui a glissé des doigts.
Le petit train qui s’en va
Se cogne et continue tout droit
Je n’avais besoin de personne et personne n’avait besoin de moi
Et j’ai abusé du temps et à présent voilà qu’il abuse de moi
Le petit train de ma jeunesse
Le petit train qui s’en va
Et je n’ai rien dit.
Très belle correspondance (ferroviaire) entre ces chansons et le texte de Cendrars. Il aurait sans doute apprécié.
Merci pour cet agréable moment de lecture.
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Merci pour ton passage. Le train semble être une grande source d’inspiration pour la poésie et la chanson. L’exercice m’a donné envie de faire d’autres correspondances entre textes classiques et chanson française (que je redécouvre après l’avoir longtemps boudée…)
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Je ne peux que t’encourager sur cette voie. 😉
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