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« Écrivons chacun une histoire de fantômes ! »

Ce soir de juin, de grosses gouttes s’écrasent contre les vitres de la villa Diodati, tandis que le vent hurle aux fenêtres. Trois hommes et deux femmes se tiennent à l’abri de la tempête, écoutant la lecture d’histoires qui font peur tirées du livre Fantasmagoriana et de poèmes de Coleridge. Pour un peu, on se croirait à la veillée d’un camp de vacances. L’orage gronde et la conversation se poursuit sur le galvanisme, les expériences du grand-père de Charles Darwin et les pouvoirs de l’électricité. Soudain, l’un des invités est victime d’une crise d’hallucinations. Ses cris brisent le silence et il faut le calmer à l’éther. L’hôte propose alors : « Écrivons chacun une histoire de fantômes ! »

Lord Byron par Thomas Philipps, 1813, (c) Newstead Abbey; Supplied by The Public Catalogue Foundation

Celui qui propose le défi est un poète dont la réputation sulfureuse n’est plus à faire dans son pays natal, l’Angleterre. En juin 1816, Lord Byron loge sur les rives du lac Léman en compagnie de Claire Clairmont, sa maîtresse enceinte, dont il se lasse, et John William Polidori, son médecin. Dont il se lasse aussi. Heureusement pour lui, un couple d’amis loue une maison non loin. C’est ainsi que Percy Shelley et sa compagne Mary Godwin Wollstonecraft passent l’essentiel de leur temps villa Diodati.

L’ironie veut que les auteurs les plus mineurs de l’assemblée, Mary presque Shelley et Polidori, soient aussi ceux qui ont écrit les textes les plus marquants du fantastique. Ainsi, Polidori, à partir de l’idée de Byron, offre au vampirisme une nouvelle figure avec Lord Ruthven. Quant à Mary Shelley, elle assemble les bribes d’un cauchemar, sa passion pour les sciences (notamment le galvanisme) et les souvenirs d’un précédent voyage pour façonner Frankenstein. En 1831, dans une introduction de son roman, elle prétend que la proposition de Byron est à l’origine de son idée. Une idée qui devait pourtant germer dans son esprit depuis près de deux ans…

Mary Shelley par Richard Rothwell, 1840

Au début du mois de septembre 1814, Mary et Percy Shelley quittent l’Angleterre où leur liaison n’est pas bien accueillie, notamment parce que Shelley est déjà marié. Au cours d’un voyage sur le Rhin, entre Mannheim et Mayence, ils bavardent avec trois étudiants de l’université de Strasbourg. Mary note dans son journal que les larrons fument, boivent et racontent des blagues. Elle ne dit rien sur les légendes du coin mais il paraît évident qu’ils aient évoqué le château Frankenstein qui se trouve aux alentours, en haut du mont Magnet. Possible qu’ils aient également raconté l’histoire de Johan Conrad Dippel, qui est né là en 1673. Non seulement philosophe et théologien, Dippel est aussi alchimiste, chimiste et physicien. Il donne notamment des cours en Alsace. Certains de ses étudiants le considèrent comme un visionnaire. D’autres témoignages rapportent un comportement scandaleux à base de vols de cadavres et de profanations de tombes. Voilà qui semble familier aux lecteurs de Frankenstein. Au cours des années suivantes et de ses pérégrinations, il se concentre sur l’alchimie et la pierre philosophale, fait établir des laboratoires, expérimente sur les animaux pour rechercher des procédés chimiques qui donnent naissance à la vie… Vers 1733, il affirme même avoir découvert un secret chimique qu’il souhaite échanger avec le landgrave Hesse contre le château de Frankenstein et il affirme qu’il mourra en 1801, à l’âge de cent trente-huit ans. Malheureusement, les négociations échouent pour le château et il meurt en 1734…

Johann Conrad Dippel

On ne sait pas si les Shelley ont visité le château, ni dans quelle mesure Mary s’est inspirée de l’histoire de Dippel et des légendes qui entourent Frankenstein mais on ne peut nier l’impact de ce voyage. Il aura juste fallu l’étincelle d’un orage combiné à un défi lancé par Lord Byron pour donner naissance à l’un des plus grands romans de science-fiction.

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