Éclairage sur… Judith Gautier

Théophile Gautier disait à propos de sa fille : « Judith a beaucoup plus de talent que Mme Sand et pourtant, comme vous le verrez, elle n’aura jamais de succès. »

Judith Gautier, d’après Nadar

On pourrait croire que l’écrivain dénigre injustement sa progéniture mais ce serait mal le connaître. Le bon Théo a toujours encouragé et soutenu les ambitions littéraires de sa fille, même lorsque leurs relations sont devenues plus fraîches quand Judith s’est mariée avec Catulle Mendès, contre l’avis de son père. Il semblerait plutôt qu’un étrange coup du sort ait condamné la famille Gautier au seul succès d’estime. Malheureusement, l’admiration suscitée par Théophile puis Judith ne paie pas les factures et le père comme la fille ont sué sang et eau pour vivre de leur plume, se partageant entre leurs œuvres et la fameuse – et damnée – copie.

Pourtant, la carrière littéraire de Judith Gautier s’ouvre sur de bons auspices. La jeune fille grandit en toute liberté : on ne lui interdit aucune lecture, elle peut assister aux soirées du jeudi que son père organise avec ses amis artistes et elle l’aide même lorsqu’il rédige Le Roman de la momie. Plus tard, à dix-huit ans, elle publie un article sur la traduction d’une nouvelle d’Edgar Poe par Charles Baudelaire, ce qui lui vaut les félicitations du poète. Sa maîtrise du chinois, langue apprise auprès de Tin Tun Ling, un réfugié politique recueilli par son père, lui permet de traduire des poèmes pour les publier dans le recueil Le Livre de Jade et de commencer à construire sa renommée. Sa passion pour l’Extrême Orient, en particulier la Chine et plus tard, le Japon, nourrit abondamment ses textes, comme le montre Le Dragon impérial, l’un de ses premiers romans.

Tout comme son père en son temps, Judith fréquente les milieux intellectuels et artistiques de la fin du XIXème siècle. Elle se lie d’amitié avec Wagner, dont elle défend inlassablement la musique, se marie au poète parnassien Catulle Mendès et a pour témoin Flaubert. John Singer Sargent, sous le charme, peint son portrait. Elle inspire des sonnets à Victor Hugo, avec lequel elle entretient une liaison. Tous ceux qui la croisent vantent sa grande beauté, ce qui parfois l’agace. Suzanne Meyer-Zundel, sa confidente et amie (on la dit parfois son amante), raconte que « Judith eût voulu conquérir les hommes par son cerveau uniquement et méprisa le rôle intempestif que venait toujours jouer auprès de ses admirateurs masculins l’attrait physique. […] Gounod fut un de ceux qui ne se méprirent pas sur son véritable état d’âme : « Madame, lui dit-il un jour, ce qui vous manque, c’est que vous êtes seule cérébralement… seule de votre espèce. » »

Judith Gautier par John Singer Sargent vers 1885

Malgré son entourage et ses relations, Judith Gautier reste l’esclave de la copie. D’autant plus que son mariage avec Catulle Mendès coule et qu’il lui faut gagner de quoi vivre. Seule. Elle écrit, encore et encore. Des romans, des poèmes, des nouvelles des pièces, des articles… Même un ouvrage publicitaire pour un chocolatier. Elle a soixante douze ans lorsqu’elle rédige son dernier papier et seule sa mort lui a ôté la plume des mains. Elle entreprend aussi de raconter son histoire dans Le Collier des jours, dont le troisième et dernier tome reste inachevé. Son talent, incontestable, lui vaut d’être la première femme reçue à l’Académie Goncourt en 1910. Ironie du sort, elle prend la place de feu Jules Renard, qui la détestait cordialement.

Femme indépendante, parfois détachée du monde réel pour vivre dans son imaginaire où l’Orient est idéalisé, elle a marqué les esprits de son temps sans pouvoir ancrer son nom dans les mémoires. Un siècle après sa mort, force est de constater que Théophile Gautier avait raison. Judith n’était pas dépourvue de talent. Malheureusement, elle n’a pas connu de véritable postérité.

4 commentaires sur « Éclairage sur… Judith Gautier »

  1. Merci d’avoir contribué à honorer sa mémoire avec ton article 🙂 En un sens c’est un peu triste ce qu’il lui est arrivé, surtout vu les prédictions confirmées de son père. J’aime beaucoup sa façon de penser, où Judith souhaitait qu’on la reconnaisse pour son esprit et non son physique. Cela ne devait pas être facile tous les jours de penser ainsi. Bref, merci 🙂

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  2. J’ai l’impression qu’il existe un sacré facteur chance quand on est écrivain, et c’est plus ce facteur que le talent qui va déterminer le succès. Je n’ai pas lu Le Collier des jours mais je l’ai rajouté à ma liste pour en apprendre plus sur elle (mais il n’est pas évident à trouver!)

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    1. Merci de ta visite ! Elle avait l’air d’être une sacrée femme, qui a réussi à s’imposer dans un monde qui était très masculin. Dommage qu’on l’ait autant oubliée (moi la première, j’ai travaillé 2 ans sur son père sans lire une ligne de la fille)

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