Imaginez la scène : un jeune homme amoureux se rend sous la fenêtre de sa belle et lui déclare son amour éternel et passionné. Du Cyrano d’Edmond Rostand au dessin animé Aladdin, en passant par de nombreuses comédies romantiques, le balcon comme lieu de la déclaration connaît un tel succès qu’il en devient un cliché.

Tout commence lorsque Juliette Capulet et Roméo Montaigu se rencontrent au cours d’un bal masqué. Il se plaisent. Beaucoup. Et une nuit, Roméo décide de s’introduire dans le jardin des Capulet, se poste sous la fenêtre de Juliette et entend la célèbre lamentation « Ô Roméo ! Roméo ! Pourquoi es-tu Roméo ? Renie ton père et abdique ton nom… ». La scène 2 de l’acte II comprend tous les ingrédients pour devenir un moment culte de la pièce : les amants se voient pour la première fois sans masque et se révèlent l’un à l’autre. Ils pressentent qu’ils sont maudits et les paroles de Juliette sont parfois lugubres. « Considère qui tu es : ce lieu est ta mort »dit-elle à Roméo quand elle le découvre dans le jardin. Jardin qui endosse une certaine portée symbolique – véritable Eden pour les amoureux. De même, la scène se déroule la nuit, dont l’obscurité accueille et cache leur secret. Le placement des personnages est aussi intéressant puisque Juliette surplombe Roméo. Ils deviennent intimes en déclarant leur amour, tout en étant séparés par l’espace vertical entre eux.
Cette scène est souvent désignée comme étant la « scène du balcon ». Ce qui est assez curieux puisque la didascalie précise, au moment où Roméo entre dans le jardin : « Apercevant Juliette qui apparaît à une fenêtre. » Il n’y a donc pas de balcon. D’ailleurs, selon un article de The Atlantic, les Anglais ne connaissaient pas le mot « balcone » à l’époque de l’écriture de Roméo et Juliette. Alors d’où vient cette idée ?

D’abord, la pièce de Shakespeare a été quelque peu oubliée par le théâtre anglais, même si des dramaturges comme Thomas Otway ont largement emprunté certains passages de Roméo et Juliette. C’est seulement au XVIIIème siècle que l’image du balcon naît, notamment quand Spranger Barry incarne Roméo pour le Covent Garden Theater. Cette nouvelle vision de la scène brise la distance établie par la fenêtre originelle et permet aux amants de devenir intimes, plus seulement de manière métaphorique. D’ailleurs, dans de nombreuses adaptations ou réécritures, il n’est pas rare de voir Roméo monter ou Juliette descendre. Les deux amoureux peuvent alors se toucher ou s’embrasser. Et plus si affinités.

C’est ensuite l’imaginaire collectif, nourri par un nombre incalculable d’appropriations artistiques de cette scène (que ce soit dans l’adaptation, la citation ou la lointaine référence), qui a entériné cette idée de balcon, enterrant la fenêtre peu romantique de départ. Par exemple, la scène 7 de l’acte III de Cyrano de Bergerac, écrit par Edmond Rostand en 1897, est une référence à Roméo et Juliette mais la nature de l’intrigue nécessite la présence d’un balcon sous lequel Cyrano peut se cacher de Roxane. Une simple fenêtre n’aurait pas permis le jeu de dupes entre Christian/Cyrano et Roxane. Le mythe a aussi été alimenté lorsque la Casa di Giulietta, une maison du XIIème siècle appartenant à la famille Dal Cappello (de Capello à Capulet, il n’y a qu’un pas), a été rénovée. En effet, un balcon a été rajouté sur la façade entre 1936 et 1940, devenant l’une des attractions touristiques de Vérone.
La fenêtre de Shakespeare, transformée en balcon par une mise en scène qui a marqué les esprits, est donc devenue le cadre parfait de la déclaration d’amour, comme en témoignent ces quelques adaptations, plus ou moins libres de Roméo et Juliette.
Romeo + Juliet, Baz Luhrrman, 1996 PRIVATE ROMEO, Seth Numrich, 2011, ©Wolfe Releasing Romeo and Juliet, Zeffirelli, 1968 West Side Story, J. Robbins et R. Wise, 1961
Merci pour cet article 😀 ! Le fameux balcon n’était donc pas dans l’oeuvre originale, c’est intéressant à savoir x) Comme quoi, la mise en scène choisie par ce théâtre a eu des répercussions dont ils ne pouvaient probablement pas imaginer la portée
J’aimeAimé par 1 personne
Mais oui ! C’est fou comme un simple choix de mise en scène est devenu presque un code romantique !
J’aimeAimé par 1 personne